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Ma rencontre avec Irma Dijon
par Guylaine Hudon le 2021-01-21

Suite du mois de décembre 2020.

Ce texte est une fiction.

Chapitre 23

Dame Irma, le temps file, je crois que je vais vous quitter demain. Ma recherche est bien avancée et je crois que ma présentation sera passionnante parce que mon sujet est passionnant. Je vous remercie encore. Une question me turlutte, vous avez dit vouloir mourir après la perte de votre famille... comment arriver à vivre avec la dépression qui fait toujours un clin d'oeil, la dépression toujours latente... et demeurer actif pour la survie?

Je crois que cela est au cœur même de l'identité humaine. Tu sais dans les premières semaines après le 28 janvier 2027, nous étions des usines d'adrénaline. C'était le jeu du chat et de la souris, tantôt hyper lucide, tantôt assommé... la porte de la dépression était toujours entrebaillée, elle tendait la main à tout un chacun. Lutter contre les tentacules de la dépression est très énergivore pour l'organisme tout entier. En ce qui me concerne, même à 117 ans, la dépression m'invite à un séjour passager depuis 50 ans cette année. Je crois qu'elle va m'accompagner dans ma mort. Je n'ai jamais attenté à ma vie, mais j'ai souvent pensé mourir dans les périodes dépressives. La dépression est un état coriace, difficile à extirper, la lutte est continue. Comme des millions d'autres personnes, j'ai décidé de vivre de tous les nouveaux espoirs après des jours si malheureux. L'humanité forcée de faire un grand bond en avant ou disparaître?

Aviez-vous parfois l'impression que malgré Greta Bürden et son plan universel, que tout était illusion et fantasme d'une humanité en perte de sens? Ce qui a été entrepris pour la survie vers le nouveau monde aurait pu être un échec?

Tu sais lorsqu'une société est confrontée à des phénomènes naturels hors normes, prévisibles mais sans date pour annoncer sa visite. Oui l'humanité avait connu son lot, la liste est longue, de guerres, de génocides, de viols collectifs massifs des guerriers idéologiques au nom d'un dieu, des goulags, des camps de réfugiés et des famines dans chaque siècle antérieur. L'humanité avait connu et été témoin des volcans en éruption toxique, des avalanches de neige, des blizzards de trois à quatre jours, des tempêtes de sable, des ouragans, des tornades, des inondations, des tremblements de terre, des épidémies et des pandémies, des sécheresses, des feux de forêts, du verglas et des pannes électriques... et l'inquiétant dégel du pergélisol parmi les effets du réchauffement climatiques qui furent multiples : hausse des températures, fontes des glaciers, hausse du niveau des mers, sécheresses, changements de la biodiversité, migrations humaines et j'en passe.

Même qu'aujourd'hui nous avons changé notre notion du temps historique. Avant 2027, le 0 avant ou après Jésus-Christ marquait une convention méthodologie pour différencier les millénaires de l'humanité, l'An 1 où commence l’ère moderne et ou termine le monde Antique. Maintenant il est d'usage de dire que 2027 marque la transition historique entre l'ancien monde et le nouveau monde.

Allons dîner sur la terrasse et ensuite je terminerai mon laïus sur la place centrale qu'a occupée Greta Bürden dans la construction de notre nouveau monde.

Chapitre 24

Tu te souviens que Greta Bürden devait prendre la parole devant l'ONU pour soutenir l'état d'urgence mondial et l'avenir de la planète. Je te disais que Greta a été un stratège remarquable. Au préalable et dans un temps records, elle avait sollicité la présence des conseils d'administrations des 200 plus grandes multinationales du monde économique de l'époque. Le milieu bancaire avait suspendu les remboursements de prêts, l'aviation civile était en état d'alerte maximum, les syndicats avaient affirmé leur solidarité internationale et les militaires avaient déposés les armes... Il faut saisir que ces quelques décisions furent prises en quelques jours seulement.

L'humanité entière avait pu écouter et voir Greta Bürden faire son discours de 47 pages et de 72 annexes à portée scientifique via tous les médias existants et surtout en direct dans Internet. Elle a dit que nous devions tous et toutes devenir des travailleurs et des travailleuses communautaires comme si nous étions dans un bénévolat infini. Elle prôna l'abolition immédiate du capitalisme devenu néo-libéralisme; c'est-à-dire l'abolition de l'argent... l'économie solidaire et verte pouvait prendre la relève pour créer le nouveau monde. L'eau, l’alimentation, le logement, la santé et les sciences doivent être le centre primordial des actions qui conduiront à notre harmonie avec et dans les biodiversités. L'humanité toute entière doit se prononcer sur l'usage des ressources naturelles connues dans une perspective durable. Même le banditisme sous toutes ses formes disparu car il n'y avait plus d'argent à faire dans les trafics ni dans un cambriolage puisque l'argent n'avait plus aucune raison d'être.

Alors Antoine... ce discours tu peux le lire intégralement c'est un texte important dans l'histoire contemporaine du XXIe siècle. En passant, Oscar a été mis au point grâce à cette vision d'un autre avenir.

Cinquante ans après ces événements gargantuesques, je revois Greta qui annonce l'avenir. Elle n'avait pas invité spécialement les dirigeants des grandes multinationales pour la galerie. Elle débita toute une série de nouveaux faits et nouvelles convictions. Par exemple : tous les grands constructeurs d'automobile de ce monde cessèrent de produire des automobiles neuves. Désormais, on récupèrera les automobiles en circulation pour des remises à neuf et technologiquement moins énergivore. Moins de personnel sera nécessaire pour exécuter cette transition majeure. Le temps partagé sur une base de travailleur communautaire sera appliqué sur la notion de solidarité universelle. Les grands groupes financiers, banques, assurances, fiducies, services financiers dégagèrent des millions de compétences désormais invitées à intégrer un domaine de travail solidaire de leur choix. Pareil pour le monde agro-alimentaire qui poursuivît sa production avec moins ou pas de pesticides et toujours avec une main-d'oeuvre opérant selon la notion de travailleur communautaire pour sauver la planète et l'humanité. Les grandes compagnies de transport continuèrent de livrer les produits essentiels toujours sur le mode de la solidarité universelle. Les compagnies d'aviation concentrèrent leurs activités en lien avec l'état d'urgence mondial et accentua l'innovation verte dans la conception future du transport aérien. Les grandes multinationales d'ingénierie se regroupèrent pour solutionner la périlleuse question de l'énergie nucléaire et de ses déchets hautement radioactifs.


C'est pourquoi 2027 est la date historique butoir pour la compréhension de notre passé et de notre présent. Le réseau de Greta était en action et la jeunesse du monde entier était en action vers le nouveau monde. Je résume Antoine. Je fais amplement état de ce contexte historique dans livre Le retour du chasseur-cueilleur paru en 2037. À partir de 2030, les habi-tants des villes cessèrent de tondre les gazons parce que presque chaque humain a pris la responsabilité de cultiver des plantes alimentaires. Systématiquement, les quartiers devinrent des jardins collectifs. Et l'habitude de cultiver ta fameuse tomate Noire de Crimée est directement liée à cette généralisation universelle. Et aujourd'hui personne n'a un salaire pour sa participation à la solidarité internationale. D'autant plus que rien n'est monnayé : pas de logement à payer, pas de nourriture à payer, pas de vêtements à payer, pas de frais de scolarité à payer, pas de médicaments à payer, pas de compte d'électricité à payer, pas d'ordinateurs à payer, pas de frais de communications à payer, etc, etc...

Naturellement, les sciences firent des bonds prodigieux parce que les cerveaux de la recherche axèrent leurs préoccupations toujours dans l'optique du sauvetage de la planète et ses biodiversités pour les siècles à venir. La circulation automobile diminua partout dans les grandes métropoles car la notion du dodo-boulot-dodo disparue.

L'application systématique du travail partagé comblait tous les besoins. Une personne pouvait passer trois ou quatre heures à remplir les étagères d'un supermarché dans son quartier; passer une ou deux heures dans une résidence de personnes âgées dans leurs sorties dans les jardins environnants; deux ou trois heures à superviser les études scolaires de leurs enfants et à préparer de bons repas aux odeurs attirantes. C'était la résultante de la révolution souhaitée, imaginée et inspirée par Greta Bûrden et de son équipe dont humblement je fus partie prenante.

Je vais me taire maintenant. Antoine j'espère ne pas avoir trop divagué. Ma résilience se termine ici. J'ai été vraiment heureuse de te connaître. Cette brève rencontre de quelques jours m'a procuré beaucoup de joie. Je te souhaite un bon retour chez toi et te souhaite un bel enrichissement de tes connaissances. Cultive bien ta curiosité comme tes tomates.

Dame Irma, mes sincères remerciements pour m'avoir accordé de votre temps. Ce fût une expérience gravée à jamais dans ma mémoire, j'ai beaucoup d'admiration pour vous. Je vous souhaite la plus belle fin de vie possible.

ÉPILOGUE

Sur la route du retour en direction de la maison familiale, je me disais quelle chance j'ai eu de choisir Dame Irma comme objet de recherche de personne à personne. Quelques jours plus tard j'ai fait savoir à madame professeure Dandurand que j'étais en mesure de présenter mon résumé de recherche.

Devant ma professeure et une vingtaine de jeunes comme moi je proposai à mon auditoire l'idée que la résilience comme celle de Dame Irma est un élément important pour les humains dans leur survie. Finalement, combien j'ai été choyé par mon sujet vivant de recherche.

Le 27 juillet de l'année 2073, OSCAR 2 diffusa un communiqué spécial annonçant le décès d'Irma Dijon, décédée d'un arrêt cardiaque pendant son sommeil à l'âge de 118 ans et 6 mois. La communauté scientifique mondiale est en deuil d'un symbole marquant l'intelligence et les sciences.

Le 7 août de la même année, un message personnel signé Irma Dijon s'inscrit dans ma boîte aux lettres. Surpris et curieux à la fois, le message se lisait comme ceci :

Cher Antoine,

J'ai retrouvé ma famille et mes amis où je suis maintenant. Je suis retournée à la poussière des étoiles.

J'ai présumé que tu accepterais de conserver une image de moi et de ma famille. Cette photo est la première que j'ai trouvée dans l'album photo de mon ami Jack en Suède au lendemain de Big One. OSCAR a sans doute publié mes mémoires et je t'invite à en faire la lecture.

Je te souhaite une vie enrichissante à tous les points de vue.

Affectueusement,

Irma Dijon

Fin de Ma rencontre avec Irma Dijon.

Guy Laprise






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