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Une fenêtre sur nos gens d’ici
par Guylaine Hudon le 2022-08-09

Lisa Lebel, préposée



Lisa Lebel apprécie travailler avec les aînés.

Photo : Sarah Paquet.


Pour Lisa, l’école ne semblait pas être sa tasse de thé : « j’ai lâché l’école en secondaire quatre, parce que je doublais et que moi je n’avais pas d’intérêt pour l’école. Je ne me voyais pas aller au cégep, car je n’avais aucun intérêt. » Mettre fin à ses études n’a pourtant jamais été un frein dans sa vie. Elle a travaillé dix ans comme serveuse dans un restaurant, avant de prendre une pause pour s’occuper de ses quatre enfants.

Treize années ont passé avant que l’école primaire Saint-François Xavier l’approche pour s’occuper des enfants au   Service de garde de l’école. « À la suite de ça, le temps que je travaillais à l’école, j’ai fait une équivalence de secondaire cinq. Ensuite, je suis allée chercher une attestation d’études collégiales en éducation à l’enfance. » Ainsi, par correspondance elle pu être diplômée.

Pendant six ans, elle est restée à l’école primaire avant de changer de direction pour aller travailler en 2019, pour Les Quartiers A. « Vu que je connaissais déjà Sonia, je suis allée la voir et je lui ai dit : j’aimerais essayer, je ne sais pas vraiment c’est quoi le travail, mais j’ai le goût d’essayer… Pis j’ai adoré cela. » Ayant tant apprécié ces premières expériences comme préposée au bénéficiaire, elle fit donc, une reconnaissance des acquis comme préposée au Centre de Formation Professionnelle de l’Envolée à Montmagny.

Pendant tout l’automne, elle travailla pour obtenir les acquis dont elle avait besoin pour être préposée au bénéficiaire. Elle me mentionnait d’ailleurs : « À quarante ans, je n’avais aucun diplôme et maintenant, j’en ai trois. » Ces expériences comme éducatrice à l’enfance l’ont aidée à devenir celle qu’elle est aujourd’hui et l’aide même à la résidence. « Cela m’a fait développer des choses qui me servent aujourd’hui avec les troubles cognitifs à la résidence. […] Je trouve que les personnes âgées et les enfants se ressemblent à certains niveaux, d’avantage ceux avec des troubles cognitifs. » Les troubles que mentionne Lisa sont ceux du types Alzheimer, démence, et tout ce qui entre dans ces familles. « Ça devient, qu’il faut faire des phrases courtes, être précis. Même si les enfants sont tout à fait aptes à comprendre, cela se rejoint, car la façon d’interagir reste la même. Une consigne à la fois… Ces choses m’ont servie, car j’utilise ce que j’ai vécu avec les enfants et avec les personnes âgées. » Je n’ai jamais pensé à cela, mais elle me racontait qu’une forme d’approche qui fonctionne autant avec les jeunes qu’avec les personnes âgées, c’est de se mettre au même niveau qu’eux. « Quand ils ne comprennent pas trop, surtout ceux qui abordent des troubles cognitifs, tu te mets à leur hauteur, une chose qu’on fait aussi avec des enfants. Si tu parles de haut, tu deviens supérieur à eux. Donc en te baissant, tu as un contact visuel et un même pied d’égalité. »

J’ai demandé à Lisa de m’expliquer en quoi consiste son travail, à quoi ressemblent ses journées. « Aider les personnes moins autonomes, les aider pour les déplacements, pour manger, distribuer les médicaments, donner leurs bains, faire leurs soins d’hygiène de base. Et bien sûr, laver les dentiers, les lunettes, les aider à s’habiller. Et tout dépend du quart du travail, tu sers aussi les repas. Ce qu’elle apprécie le plus de ses journées de travail c’est que les quarts ne changent jamais, seulement les journées de la semaine. Ainsi, sa routine n’est pas perturbée; elle commence avec le lever des résidents peu importe le jour de la semaine. « Dès six jusqu’à huit heures, c’est le lever des personnes et le déjeuner. Après, on les remonte dans leur chambre et c’est le moment des toilettes basses, ou les bains durant tout l’avant-midi. Au dîner, on répète le même schéma. Dans l’après-midi, c’est la collation et après mon quart de travail est terminé. » De plus, depuis peu elle s’épanoui en prenant d’autres petits contrats dans la résidence du côté administratif.

Son baume au cœur est bien évidemment les liens uniques tissés avec les résidents. « C’est la clé pour que tout aille bien avec eux, surtout les troubles cognitifs. » C’est indéniable, tis-ser des liens crée un élément de confiance qui permet la coopération entre le résident et la préposée.

Devant cette réponse des plus positives, on ne pouvait passer sous silence, si c’était douloureux qu’un résident avec des troubles cognitifs finisse par ne plus la reconnaître? « Non, pourtant je suis quelqu’un de très sensible, mais je suis capable de garder une certaine distance. Ce qui me fait le plus de peine, c’est de les voir partir. Mais, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il te reconnaisse. Il faut s’attendre au contraire, à ce qu’il ne te reconnaisse pas. Il faut que tu sois prête, car c’est ça la maladie. Et c’est sûr qu’elle va évoluer; les personnes âgées viennent en résidence car la maladie évolue. Mais oui, ces résidents partie, à ce stade, ils ne te reconnaissent pas, ils ne diront pas non plus : « C’est Lisa! ». Ils vont sembler reconnaître quelque chose sans vraiment le savoir. Sonia me disait que la mémoire émotionnelle reste. Concrètement, il y a une résidente, qui a essayé des chaussures et elles étaient trop serrées. Elle était rendue à oublier rapidement ce qu’on lui disait. Trois semaines après, je lui ai juste montré les souliers. Elle m’a dit « Heille ça c’est trop petit ». Ce qu’ils ressentent fort, c’est vraiment ce qui reste.

Tout comme des situations vécues. En prenant en compte que Lisa a commencé en 2019, elle a donc vécu la Covid. Ce qui l’a le plus touchée, n’est pas le fait qu’elle doive porter un masque, mais bien le nouveau rythme de vie pour les résidents. Quand la Covid est entrée dans le bâtiment, tout le monde était confiné dans sa chambre, donc personne n’avait de contact social. Ceux atteints de troubles cognitifs, ne comprenaient pas pourquoi ils devaient rester enfermés. Ils ne comprenaient pas non plus la gravité de la situation. « Une résidente confinée à sa chambre, croyait être confinée parce qu’elle était atteinte, elle ne se sentait pas bien, elle répétait : « je suis malade » à tous les jours et nous devions la rassurer. Beaucoup ont perdu de l’autonomie. Tout ce confinement, de porter des masques pour aller manger, de ne pas pouvoir parler à d’autres résidents… » Tout le contexte pandémique a frappé dur les résidents. Pour Lisa, ce qui fut réellement ardu c’est quand quelques cas se sont déclarés. Ils ont dû placer en isolement tous ceux avec qui ils étaient  attablés. « Donc, à chaque chambre, on portait des lunettes protectrices, un masque N-95, une jaquette, des gants. Tu entrais faire ce que tu avais à faire et tu sortais. Tu enlevais tes gants et tu lavais tes mains. Tu enlèves la jaquette, tu te laves les mains et ainsi de suite. Puis tu recommences pour une autre chambre. C’est le moment où j’ai trouvé cela le plus difficile. »

« Moi, je regrette rarement quelque chose dans ma vie, parce que ça m’amène quelque chose d’autre. Comme je te le dis, ce que j’ai appris à l’école me sert aujourd’hui. J’ai été dix ans serveuse dans des restaurants et des bars en Beauce, pis cela me sert aujourd’hui. Le midi, on sert les dîners, j’amène quatre assiettes en même temps. Tout te sert dans la vie. » De plus, sa plus grande fierté, c’est toutes ces fois ou un résident qui ne veut pas prendre son bain, finalement décide de lui accorder sa confiance. « Pour une résidente, à un moment c’était plus ardu de lui donner son bain. Je lui ai dit, inquiétez-vous pas, ça va bien aller. Puis elle m’a regardée droit dans les yeux et elle m’a dit : « Je te fais confiance ». Ces petits défis pour moi, que j’appelle comment trouver la clé, sont mes instants de bonheur. Ça va droit au cœur ».


Sarah Paquet, journaliste-pigiste

Journal Le Hublot




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