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La petite histoire de L'Islet - Les derniers Koenig à L’Islet
par Guylaine Hudon le 2020-03-11

3e partie

Les deux frères, Charles et Arthur Koenig étaient cousins du capitaine Joseph-Elzéar Bernier et ils naviguèrent d’ailleurs à quelques reprises ensemble. Un des fils de Charles fera partie très jeune des expéditions du capitaine Bernier. John fit ressortir le patronyme de ses ancêtres et signait : John Van Koenig. Ce qui porte à croire que jusqu’à cette génération les Koenig connaissaient et étaient fiers de leurs origines, Koenig signifiant littéralement « Fils de roi ».

C’est John qui produisit la matrice sculptée en bois qui servit à couler une plaque commémorative en plomb qui a été apposée sur le rocher Parry à Winter Harbour (Île Melville) le 1er juillet 1909 lors de la cérémonie de la prise de possession de tout l’archipel arctique au nom du Canada par le capitaine J-E Bernier.


Matrice réalisée par John Koening. Photo fournie par le Musée Maritime du Québec.


John Van Koenig a été chef-mécanicien et ingénieur, sur l’Artic entre autres (navire du capitaine Bernier). Il a aussi navigué sur le Druid, navire de Charles, son père.

On retrouve le nom de Arthur Koenig plutôt facilement en faisant des recherches, malencontreusement en rapport aux multiples avis de décès de ses enfants.

Arthur Koenig, pilote du St-Laurent, était marié à Paméla Chalifour, dont la famille occupait, de génération en génération, la plus ancienne maison de L’Islet (1681), tout juste en face de la route du quai, dont François Guyon fut le premier occupant. Une horrible destinée frappa cette famille en 1894 : on dirait presque que la grande faucheuse s’était confortablement installée dans leur demeure alors qu’ils subissaient la perte de quatre enfants en deux semaines.

- Joseph Marie Michel, 3 ans et deux jours, le 30 octobre 1894

- Marie-Prudencienne, 22 mois, le 31 octobre 1894

- Marie Jeanne Agnès, 6 ans, le 3 novembre 1894

- Marie Berthe Geneviève, 4 ans, le 4 novembre 1894

Ensuite en 1897, ils perdirent Bibianne Gertrude à 2 semaines; en 1910, Marie Pamela Germaine mourut à 25 ans, le 17 juillet 1914, leur fils Félix qui était pilote tout comme son père, se noya lors d’une baignade alors qu’il avait à peine 20 ans. Aussi, en 1918, Suzanne-Gabrielle-Colette décèda à 22 ans. Je trouvais étrange que sur la stèle au cimetière la seule chose inscrite soit : « Famille Arthur Koenig », je crois comprendre un peu mieux maintenant.

Le couple Koenig-Chalifour a demeuré pendant plus de quarante ans dans l’actuelle maison du Dr. Martin Toussaint. Il l’avait acquise en 1892 d’un certain M. A. Bélanger. Cette magnifique résidence de style monumental anglais est recouverte de brique en provenance d’Ecosse, matériel qui servait à lester les cales des bateaux. Vous pourrez remarquer que le presbytère en est recouvert également (sauf la partie est).

Lors du grand feu de 1935 au village, cette demeure fut la proie des flammes ainsi que quatre autres maisons avoisinantes. Ce jour -là, il ventait du nord-ouest à écorner les bœufs; un feu de cheminée se déclara à la succursale de la Banque Canadienne Nationale (voisin à l’est du musée Maritime) ce qui mit le feu en quelques minutes à la maison de M. J-F Hudon (voisin à l’est) qui fut complètement détruite, puis à celle de M. Aimé Fortin, maison natale de Dorlida Fortin, épouse de Adélard Godbout (ministre de l’agriculture de l’époque et premier ministre en 1936), ensuite à la maison de M. Potvin, ancien bureau de poste qu’il venait d’acheter, puis à une manufacture de balais située derrière, qui était la propriété de M. Auguste Fafard (fils). Comme il est dit dans le journal : « les flammes furibondes finirent leur course destructrice sur la résidence de M. Arthur Koenig » maison en brique qui probablement aida à mettre fin à l’incendie. Les vieux de L’Islet ont bien raconté que le curé de l’époque, l’abbé J-E Donaldson, avait tracé une ligne avec de l’eau bénite en passant entre la maison de M. Koenig et celle du dentiste Gérard Plourde (propriété de Ulfranc Bélanger à cette époque) et qu’il aurait pour ainsi dire arrêté miraculeusement l’incendie à cet endroit.

À cette époque, L’Islet ne bénéficiait que d’une petite pompe d’incendie bien insuffisante pour ce genre de feu. Les pompiers de Montmagny, de Saint-Jean-Port-Joli et de La Pocatière, avec leurs équipements plus récents, vinrent porter main-forte pour combattre le brasier qui débuta à 9 h 30 pour n’être contrôlé qu’à 16 h 30. Même les pompiers de Québec ont offerts leur aide qui fut déclinée, le feu étant contrôlé et en perte d’intensité.

Dans l’édition du journal « Le Soleil » du 2 mai 1935, on raconte qu’il a fallu prodiguer des soins à Mme Joseph Chalifour et à Mme J-F Hudon qui dans l’émoi, ont perdu connaissance. Le décès de M. Arthur Koenig, 84 ans et 6 mois, sema la consternation générale. Pilote à la retraite et respecté de ses contemporains, M. Koenig perdit d’abord connaissance voyant le feu commencer à ravager sa maison. On le crut mort et on le transporta chez le capitaine Joseph Chalifour mais, en arrivant à cette maison, il reprit connaissance et voulut monter seul les escaliers. On le fit s’allonger sur un lit pendant qu’arrivait le docteur Dion appelé de toute urgence. Malheureusement il ne put que constater son décès lors de son arrivée. Malgré tout, avant de mourir, il reçut l’absolution sous condition par L’abbé Robert Gauthier, desservant de Saint-Cyrille qui était de passage à L’Islet ce jour-là. Des gens sont venus par centaines porter secours ou seulement assister à la scène.

Imaginez-vous l’émoi cette journée-là pour les habitants de ce joli petit village qui venait de se faire défigurer en plus de perdre le respecté pilote reconnu et apprécié de la côte de Gaspé à Montréal. Même en ayant évité le pire, L’Islet se souviendra longtemps de cette catastrophe.


Grand feu. Photo tirée de BaNQ.


La résidence des Koenig fut reconstruite immédiatement et intégralement : toit, lucarnes, etc. La charpente dut être reconstruite à l’intérieur des murs de briques qui résistèrent à l’incendie, technique utilisée notamment dans le vieux Québec. Marthe Koenig fut la dernière Koenig à l’occuper jusqu’en 1954. Cette maison fut la propriété de trois médecins depuis sa construction, le Dr Jean-Évangéliste Baril en 1891, le Dr Gilbert Courcy de 1954 à 1976 et finalement le Dr Martin Toussaint depuis 1976. Depuis le début de son occupation, M. Toussaint s’affaira à redonner tout le cachet d’époque qui se rattache au style de la monumentale anglaise, un délice pour les yeux (et elle est à vendre, avis aux intéressés). Au cours de ses rénovations, M. Toussaint fit des observations, il retrouva 1867 gravé dans une pierre du solage côté sud. Il remarqua aussi les premières pièces, à partir du solage, partiellement brûlées en faisant effectuer des travaux d’isolation. Un œil averti révèle une légère ondulation au niveau d’un mur de brique; cela dit, il n’a pas « dérangé » depuis 1935.


Maison incendiée de Arthur Koenig, maintenant la propriété de M. Martin Toussaint.

Maison de M. Martin Toussaint de nos jours. Photo fournie par M. Martin Toussaint.



Le dernier Koenig à avoir été inhumé au cimetière de L’Islet serait le docteur Paul Henri Koenig en 2008. Né en 1917, il était le petit-fils de Charles Koenig et Léda Fortin, Son avis de décès révèle qu’il était le premier physicien diplômé de langue française, docteur en physique du Massachusetts Institute of technology, professeur et chercheur à l’Université Laval en 1956, conseiller scientifique du Canada à l’ambassade de Paris, pour l’UNESCO, l’OTAN et l’OCDE. Pas mal quand même! Il serait enterré sur le lot de Charles Koenig; en tous les cas, le lot est maintenant à son nom : grâce à lui, pour la sauvegarde de notre patrimoine, payé pour quelques années. Je trouve touchant qu’il ait choisi de reposer au même endroit que ses aïeux, au cimetière du village de ses ancêtres.